Audit des sociétés à mission: les commissaires aux comptes sont prêts

  • Commissariat aux comptes
  • 1 mars 2021
  • 10 minutes

La création du statut d’entreprise à mission entraîne de nouvelles obligations. On ne décide pas qu’on en est une, il faut le prouver aux parties prenantes. Mais qui certifiera que les engagements pris sont tenus ? L’avocat Bastien Moraga et l’expert-comptable Julien Mimoun apportent une réponse très étayée dans cette tribune.

Instauré par la loi PACTE, le statut de « sociétés à mission » a pour objet de favoriser la prise en compte des préoccupations sociales et environnementales par les entreprises. Toute société peut désormais faire état de sa qualité de société à mission, si elle réunit les conditions posées au nouvel article L 210-10 du code de commerce.

Le décret du 2 janvier 2020 est venu préciser les informations concernant les sociétés à mission qui doivent être portées à la connaissance du public et, surtout, les vérifications qui doivent être effectuées par un organisme indépendant sur la réalité de la poursuite d’objectifs sociétaux et environnementaux.

Mais, les textes de loi restent muets sur les acteurs qui pourront revendiquer la qualité d’organisme tiers indépendant. Les commissaires aux comptes semblent pouvoir légitimement revendiquer ce rôle.

Les sociétés à mission

Inspirée du droit anglo-saxon, la création des sociétés à mission en France découle des conclusions du rapport Notat-Sénard « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », publié en mars 2018. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », a prévu trois niveaux de prise en compte des préoccupations sociales et environnementales pour les entreprises françaises.

  • Le premier niveau rend obligatoire la responsabilité sociale et environnementales (RSE) pour toutes les entreprises.
  • Le second niveau permet aux sociétés d’inscrire une « raison d’être » dans leurs statuts pour préciser leur projet collectif de long terme.
  • Enfin, le troisième et dernier niveau offre aux sociétés les plus volontaires la possibilité de devenir entreprises à mission pour résoudre un problème sociétal ou environnemental identifié ou pour s’engager dans des missions d’intérêt social, scientifique, culturel, environnemental qui vont au-delà des objectifs de lucrativité ou de performance financière de l’entreprise.

Dans ce cas, elles doivent définir des objectifs quantifiables, mesurables et donc soumis à évaluation.

L’article L 210-10 du code de commerce prévoit que toute société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsqu’elle respecte les conditions suivantes :

  • les statuts précisent une raison d’être, au sens de l’article 1835 du code civil : cette raison d’être s’entend d’un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre ;
  • la société est dotée d’un comité de mission (distinct des organes sociaux) et devant comporter au moins un salarié : ce comité est chargé exclusivement du suivi du ou des objectifs que la société entend poursuivre, et présente chaque année un rapport qui est joint au rapport de gestion soumis à l’assemblée générale ; enfin
  • la réalisation des objectifs sociaux et environnementaux fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (OTI).

Attention donc au purpose washing. Le statut d’entreprise à mission ne constitue pas un label qu’on peut s’auto-attribuer mais un dispositif légal. L’entreprise est libre d’y recourir mais, si elle le fait, elle est auditée.

Ne pas respecter ses objectifs expose la société à mission à des risques d’atteinte à son image mais aussi de radiation de la mention « société à mission ». En effet, l’article L 210-11 du code de commerce prévoit que lorsqu’une des conditions posées à l’article L 210-10 n’est pas respectée ou que l’OTI conclut qu’un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux ne sont plus respectés, toute personne intéressée ou le ministère public peut demander au président du tribunal statuant en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention « société à mission » de tous les actes émanant de la société.

Carrefour est devenue la première société à mission du CAC 40 en adoptant ce nouveau statut dès son assemblée générale d’actionnaires de 2019. Danone a également adopté le statut de société à mission à l’issue d’un vote à plus de 99 % lors de l’assemblée qui s’est tenue en juin dernier. Beaucoup d’autres entreprises se sont engagées dans la démarche : Crédit Mutuel, Yves Rocher, MERIDIAM, CAMIF, MAIF, KLESIA, le groupe de médias Les Echos/Le Parisien, Sabarot, Le Slip Français, etc.

L’évaluation des sociétés à mission

La loi PACTE prévoit deux mécanismes pour garantir l’effectivité du dispositif : d’une part le suivi par un comité de mission chargé d’établir un rapport (auto-contrôle) et d’autre part le suivi par un organisme tiers indépendant (contrôle externe). Le décret 2020-1 du 2 janvier 20203 relatif à l’inscription aux statuts des entreprises de leur « mission » prévoit aussi que le statut de « société à mission » soit mentionné dans le répertoire Sirene, la base de données des entreprises et des établissements, gérée par l’Insee.

Le décret apporte également des précisions sur les modalités de désignation des OTI chargés de vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux et la périodicité de leurs interventions. Il reste en revanche des zones d’ombre sur le périmètre et le contenu concret des diligences que ces derniers doivent réaliser.

Les premières vérifications devront intervenir 18 mois – ou 24 mois pour les entreprises de moins de 50 salariés – suivant la publication de la déclaration de la qualité de société à mission au registre du commerce et des sociétés, soit au mieux dans le courant du deuxième semestre 2021 pour les premières entreprises qui auront franchi le pas.

La vérification devra être renouvelée tous les deux ans – ou trois ans pour les entreprises de moins de 50 salariés – et l’OTI devra rendre un nouvel avis motivé. L’avis le plus récent sera joint chaque année au rapport de gestion et publié sur le site internet de la société sur lequel il restera disponible pendant cinq ans. En cas d’avis négatif de l’OTI, la société sera contrainte de retirer l’inscription de ses missions de ses statuts. Les OTI seront désignés par l’organe en charge de la gestion pour une durée initiale de six exercices, renouvelable dans la limite de 12 exercices.

Ces OTI devront être désignés parmi les organismes accrédités par le COFRAC (Comité Français d’Accréditation) ou par tout autre organisme d’accréditation signataire de l’accord de reconnaissance établi par la coordination européenne des organismes d’accréditation. Des discussions sont actuellement en cours entre le Ministère de l’Economie et des Finances et la Compagnie des Commissaires aux Comptes, pour que les commissaires aux comptes fassent partie des organismes accrédités pour réaliser l’audit des sociétés à mission. A ce jour, aucun OTI n’a encore été accrédité en France par le COFRAC, des précisions concernant les diligences opérationnelles devant être mise en œuvre par les futurs OTI sont encore en cours de discussion.

Les commissaires aux comptes apparaissent légitimes à réaliser l’audit des sociétés à mission.

Le commissaire aux comptes (CAC) est un tiers indépendant au service de l’intérêt général. Impartial, il intervient indirectement pour toutes les parties prenantes de l’entreprise et non pas directement au service de ses dirigeants. Ce n’est pas un prestataire de service de la direction de l’entreprise.

Confier l’évaluation des sociétés à mission aux CAC est cohérent avec l’idée que l’entreprise n’appartient pas seulement à ses dirigeants ou à ses actionnaires et qu’elle elle a des comptes à rendre aux parties prenantes constituées de ses salariés, ses clients, ses fournisseurs, ses partenaires financiers, l’Etat, les collectivités locales, etc. Au-delà du caractère indépendant du Commissaire aux Comptes, c’est l’essence même de sa fonction au sein des entreprises qui plaide en sa faveur dans le cadre de l’audit des sociétés à mission, à savoir la mission de certification.

De plus, certains éléments de terminologie utilisés dans le décret 2020-1 du 2 janvier 2020 laissent fortement penser que les CAC seraient à même d’être les futurs OTI des sociétés à mission, et notamment :

  •  Le fait que le choix des OTI est soumis aux mêmes règles d’incompatibilité que celui des Commissaires aux comptes (article L.822-11-3 du code de commerce) ;
  • La durée maximale de la mission de l’OTI au sein des sociétés à mission qu’il contrôle, à savoir 6 ans, correspond à la durée légale du mandat des Commissaires aux Comptes ;
  •  L’avis que doit publier l’OTI suite à sa mission, n’est pas sans rappeler l’opinion délivrée par le Commissaire aux comptes dans le cadre de ses travaux de certification des comptes annuels.

Notons par ailleurs que le terme d’OTI lui-même n’est pas nouveau. Il est déjà utilisé depuis plusieurs années pour désigner l’organisme chargé de délivrer une attestation relative aux déclarations de performances extra-financières des entreprises (obligatoire pour les sociétés cotées en bourse ou, pour celle qui ne sont pas cotées, dépassant certains seuils légaux). Dans la pratique, cette attestation est délivrée par le CAC de la société.

Dans le cadre de l’examen de la loi PACTE, les CAC avaient déjà défendu l’idée que l’évaluation des sociétés à mission devrait être intégrée à leur mission. Le rapport Notat-Senard qui a inspiré la loi PACTE faisait d’ailleurs indirectement référence à un élargissement de l’évaluation des normes comptables qui prendrait en en compte les objectifs sociaux et environnementaux, ouvrant la voie à un audit des sociétés à mission par les commissaires aux comptes :

« La grande technicité des normes comptables ne doit pas occulter la réalité des choix parfois politiques qu’elles peuvent refléter. Ces normes permettent, par une unité de compte commune, de rendre comparables des réalités différentes. La comptabilité est donc un moyen de ramener des intérêts particuliers à un intérêt général. Les normes comptables actuelles ne prennent pas en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Des chercheurs français proposent une méthode qui permettrait de traiter en comptabilité les êtres humains et les entités environnementales non pas comme une charge (comme c’est le cas actuellement), mais comme un passif, pour correspondre à la conception de l’existence d’une dette sociale et écologique. Il est également possible, à l’inverse, de considérer ces éléments comme un patrimoine à préserver, et donc de les faire figurer à l’actif de l’entreprise.« (1)

La certification des objectifs définis par la société à mission par les CAC donnerait donc à cette obligation d’audit légal un caractère objectif et vérifiable.

Bastien Moraga, avocat associé Corporate, M&A, Private Equity Cabinet Dumon Partners et Julien Mimoun, expert-comptable / commissaire aux comptesCabinet, MR Capital